Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/11

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Elle ne répondit pas : elle semblait même un peu distraite. Son expression avait été jusque là légèrement ironique, mais quand elle reprit son sérieux, elle devint absolument jeune. Son fin profil aux lèvres entr’ouvertes fit soudain penser non seulement à un enfant, mais à un enfant perdu.

— Je me souviens d’une vieille enluminure dans laquelle il y avait un nègre, dit-elle enfin. Elle représentait les trois Rois Mages, à Bethléem, avec leurs couronnes d’or. L’un d’eux était tout noir, mais il avait une robe rouge, d’un rouge de flammes. Aujourd’hui, on ne peut plus se procurer le rouge d’autrefois. Je connais des gens qui l’ont vainement cherché. C’est un de ces arts perdus, comme les vitraux !

— Ce rouge-ci sera très bien pour ce que nous voulons faire aujourd’hui, dit Murrel d’un ton indifférent.

Elle regardait toujours d’un air absorbé l’horizon des bois sous le ciel matinal.

— Je me demande parfois, dit-elle, ce que nous voulons faire ?

— Peindre la Cité en rouge, je pense, répondit-il.

— L’or dont on se servait est perdu aussi, continua-t-elle ; je regardais hier un vieux missel dans la bibliothèque. Savez-vous qu’on écrivait toujours en or le nom de Dieu ? Si l’on soulignait un mot aujourd’hui, ce serait : OR.

Le silence laborieux qui suivit fut enfin rompu par une voix lointaine criant : « Singe ! » d’une manière bruyante et impérative, le long des galeries. Murrel ne se fâchait pas d’être traité de singe ; cependant il éprouvait toujours une sensation désagréable quand c’était Julian Archer qui l’appelait ainsi. Ce n’était point de l’envie, bien qu’Archer fût vaguement spécialisé dans les succès comme Murrel dans les