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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/160

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des flèches comme messagères d’amour ou de guerre. Le jeu de l’arc avait été très à la mode sous la Reine Victoria, et bien des hommes et des femmes de cette époque avaient dû voltiger sur les pelouses de Seawood-Abbey, occupés à ce sport gracieux. Plusieurs revenaient peut-être dans ces mêmes lieux, spectres doucement étonnés, hommes à longs favoris, en pantalons à sous-pieds, dames en crinolines vaporeuses se balançant et flottant comme des ballons… Pourtant, si d’illustres personnages de l’ère victorienne avaient honoré cet amusement, ils se tenaient dans certaines limites « victoriennes » bien claires. Ils dirigeaient correctement leurs flèches sur des cibles, et non pas sur des chapeaux hauts-de-forme. Ils faisaient peu de ces gestes démesurés qui ont appartenu dans le passé aux grands arcs des héros. Sir Robert Peel, aussi prudent qu’Ulysse, ne se retournait pas en disant : « Maintenant, je vais viser un autre but », pour transpercer de son trait le gilet bariolé de Disraeli. Il n’est rapporté nulle part que Lord Derby, après avoir visé une pomme au sommet du haut-de-forme de Lord Stanley, ait informé le premier ministre (supposons Lord Aberdeen) qu’il réservait une autre flèche pour un but politique plus élevé. Lord Palmerston, malgré son surnom de Cupidon, n’attirait pas l’attention des dames qu’il honorait de sa faveur en transperçant leurs chapeaux cabriolets de cette manière désinvolte. Lord Shaftesbury se montrait rarement dans le rôle et le costume de l’archer qui orne la fontaine de Shaftesbury, et ce serait une erreur de supposer que c’est lui qu’on a voulu y représenter. Par dessus tout, il ne vint jamais à l’idée du célèbre Rowland Hill que tirer des flèches dans toutes les directions pût remplacer la poste à deux sous.