Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/30

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ne les voyait pas. Il voyait ces énormes animaux et ces oiseaux couronnés qui semblent taillés à même les montagnes. Il voyait ces figures grandioses et écrasantes, géométriques comme le plan d’une ville. Quelques signes même témoignaient qu’il avait laissé les Hittites dominer son esprit jusqu’à le déranger un peu. Le bruit courait qu’un professeur imprudent ayant colporté de vains commérages contre la moralité de la princesse Pal-Ul-Gazil, Herne lui avait travaillé les côtes avec la tête de loup destinée à épousseter les livres, et l’avait contraint à se réfugier au sommet de l’échelle de la bibliothèque. Mais l’opinion publique discutait si cette histoire reposait sur un fait, ou sur l’autorité de M. Douglas Murrel.

Quoi qu’il en soit, cette anecdote était au moins symbolique. Bien peu de gens soupçonnent combien de guerres et de tumultes peuvent couver sous une marotte obscure. L’esprit de combat a trouvé un refuge dans les recoins des théories scientifiques et abandonne sans vraie discussion les grandes questions d’intérêt général. Vous vous figurez que le Télégramme quotidien est une feuille cinglante et acerbe, la Revue des Fouilles Assyriennes un journal doux et pacifique ; mais la vérité est tout autre : c’est le journal populaire qui est devenu froid, banal, et rempli de clichés auxquels on ne croit pas ; c’est la revue d’érudition qui est pleine de feu, de fanatisme et de rivalités. M. Herne ne pouvait se contenir quand il pensait au Professeur Pool et à ses présomptueuses et monstrueuses suggestions sur les sandales hittites. Il poursuivait le Professeur, sinon avec une tête de loup, du moins avec une plume brandie comme une arme, et il dépensait des trésors inouïs d’éloquence, de logique et d’enthousiasme. Lorsqu’il découvrait des faits nouveaux, dénonçait des erreurs admises