Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/31

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ou bataillait contre des objections qu’il perçait à jour avec une lucidité éblouissante, il ne se faisait guère un nom connu du public, mais il était ce que bien des hommes célèbres ne peuvent pas se vanter d’être : il était heureux.

Par ailleurs, c’était le fils d’un pasteur pauvre ; il était de ceux, très rares, qui ont réussi à être insociables à Oxford, non par une aversion réelle de la société, mais par un amour non moins réel de la solitude. Ses exercices physiques eux-mêmes, rares mais persévérants, étaient soit solitaires, comme la marche et la natation, soit exceptionnels et excentriques, comme l’escrime. Il possédait une bonne culture générale et, étant pauvre, fut très content de gagner sa vie en veillant sur la belle bibliothèque ancienne recueillie par les propriétaires de l’abbaye de Seawood. Les seules vacances de son existence avaient été remplies par un rude travail, comme sous-assistant aux fouilles des cités hittites d’Arabie, et tous ses rêves éveillés n’étaient que la répétition de ces vacances.

Il était debout devant la porte-fenêtre qui donnait sur la pelouse, les mains dans ses poches, et regardant vaguement au loin, quand la ligne verte des jardins fut rompue par l’apparition de trois silhouettes dont deux au moins étaient frappantes, pour ne pas dire effarantes. On eût dit des fantômes aux couleurs vives, émergeant du passé. Leur costume n’avait rien de hittite, mais il était presque aussi exotique. Seule, la troisième silhouette, un homme en veston et en culotte de lainage clair, était d’une modernité rassurante.

— Oh ! M. Herne, lui disait une jeune fille d’une voix courtoise, mais assurée, une jeune fille parée, comme un portrait, d’une merveilleuse coiffure à