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Sa première impression fut que la longue et haute salle, entièrement tapissée de livres, était vide. L’instant d’après, il vit que tout en haut, dans le coin sombre où le bibliothécaire avait trouvé ses documents français sur le Moyen-Âge, flottait un singulier nuage bleuâtre et lumineux. Puis il comprit que la lampe électrique était toujours allumée, et que le voile de vapeurs au travers desquelles elle brillait était la fumée d’un nombre considérable de cigarettes accumulées pendant des heures sur ces hauteurs… Alors seulement il perçut distinctement les deux longues jambes de M. Michaël Herne pendant de la corniche élevée où il paraissait être resté à lire sans interruption, d’un lever du soleil à l’autre.

— Dieu me bénisse, dit Murrel à mi-voix, le malheureux doit être mort de faim et de sommeil !

Il héla avec précaution l’homme sur son perchoir, un peu comme on fait pour un enfant jouant au bord d’un précipice, et lui dit d’un ton rassurant :

— Tout va bien, j’ai l’échelle.

Le bibliothécaire le regarda avec douceur par dessus son gros livre et demanda :

— Désirez-vous que je descende ?

Et alors Murrel fut témoin du dernier des prodiges de ces invraisemblables vingt-quatre heures : sans attendre l’échelle, Michaël Herne se laissa rapidement glisser sur la façade de la bibliothèque, trouvant des points d’appui sur les rayons, non sans difficultés ni danger, et tombant enfin sur ses pieds. Il est vrai qu’en atteignant le sol, il chancela.

— Avez-vous demandé à Garton Rogers ? interrogea-t-il. Quelle période intéressante !

Murrel ne put répondre que par un regard stupéfait :

— Période ? quelle période ?