Page:Chevalier - Accord de l'économie politique et de la morale, 1850.djvu/6

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Avant l’organisation de l’Église chrétienne, le principe de l’égalité avait reçu en dehors du peuple hébreu, dans la civilisation de l’Orient le plus reculé, des applications moins éclatantes, mais formelles, qui prouvent avec quelle force il ressort de la conscience du genre humain. Sous le régime même des castes, on peut dire que l’égalité, dans le sein de chaque caste, était une préparation à l’égalité générale qui devait exister, après que les murailles à pic, qui séparaient les castes, auraient été renversées.

Les esprits supérieurs qui constituèrent l’économie politique à l’état de science positive adoptèrent pleinement les idées de liberté et d’égalité ; ils les prirent pour point de départ, de même que les philosophes, qui embrassaient dans leur entreprise la révision de toutes les institutions de la société. La liberté du travail, loi essentielle de l’économie politique, n’est qu’une figure du principe général de la liberté. Pareillement, lorsque l’économie politique réprouve tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un monopole industriel, tout ce qui tend à obliger une partie de la société à rétribuer les services d’une autre partie plus qu’ils ne valent, ou à rendre des services sans retour, ou, plus généralement, lorsqu’elle indique les bases naturelles de l’équilibre des intérêts divers, elle procède du principe, désormais reconnu et consacré, de l’égalité devant la loi.

Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous encore un instant sur ce dernier principe, afin de le saisir dans toute son étendue et d’en voir toute la portée. À la dénomination de l’égalité, je substituerai celle-ci : la justice. L’égalité devant la loi est le simple énoncé du principe de justice, tel qu’il est conçu de la civilisation moderne. C’est sur la justice que l’économie politique cherche à asseoir, autant qu’il lui appartient, les rapports d’homme à homme, de classe à classe, de nation à nation.

Ainsi, la liberté et la justice sont les deux grands principes, les fondements de l’économie politique. Liberté et justice, c’est toujours à ces pierres de touche que l’économie politique revient quand elle veut apprécier les institutions et les faits. Elle les emploie tantôt isolément, tantôt en les combinant l’une et l’autre. Ainsi, pour rappeler une discussion récente qui a eu un grand retentissement, lorsqu’on a réclamé la liberté du commerce international, ce n’est pas seulement parce qu’en soi la liberté est un grand bien, le plus noble attribut d’un être intelligent. La liberté du commerce se motive aussi par la justice. Il n’est pas juste, ont dit les partisans de cette liberté, que personne ait sur ses concitoyens un privilège pour la vente de ses produits. La loi politique nous garantit l’égalité devant la loi, quelle que soit la naissance ; la loi économique ne peut nous refuser plus longtemps l’égalité, quelle que soit la profession à laquelle les hommes se livrent, quelle que soit la production dont les fruits leur sont dévolus. C’est à ce raisonnement que l’Angleterre s’est rendue, après