Page:Chevalier - Accord de l'économie politique et de la morale, 1850.djvu/9

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de l’intérêt personnel fut posée de nouveau ; elle le fut, comme tout ce qui s’agitait alors, avec le mélange de passions et l’accompagnement d’exagérations, qui sont les caractères des temps révolutionnaires. Un système contraire s’était produit avec éclat, il semblait promulgué du sommet du Sinaï du gouvernement provisoire. L’intérêt personnel est aboli, il ne doit plus rester que le sentiment du devoir, s’écriait l’audacieux novateur qui avait déclaré la guerre à la concurrence, et qui voulait organiser le travail sans le secours de l’intérêt personnel. Que disaient alors les défenseurs de la société, aux applaudissements des gens de bien et des esprits justes ? que le système dit de l’Organisation du travail et des ateliers sociaux serait une affreuse tyrannie, la négation de la liberté et de la dignité humaines ; que toutes les âmes, comme tous les intérêts, y seraient traités de manière à ne plus former qu’un panthéisme confus et un pêle-mêle ignoble.

Et, notez-le bien, cette réfutation du système dit de l’organisation du travail était, à proprement parler, de la morale plutôt que de l’économie politique. Ce que celle-ci faisait remarquer, et qui était de sa plus directe compétence, c’est qu’avec ce beau système destiné, dans la pensée de son auteur, à faire le bonheur du genre humain, la production serait arrêtée, et qu’au lieu de la prospérité, on se trouverait en tête-à-tête avec une épouvantable misère. Le procès est jugé aujourd’hui, la raison publique a prononcé, et si je parle du système, c’est à regret, car il ne me convient pas de chercher querelle à des vaincus. Mais le court rappel que j’en fais m’a paru nécessaire pour vous montrer où l’on va quand on condamne systématiquement l’intérêt personnel. Dès qu’on laisse à l’écart absolument l’intérêt personnel et la concurrence, qui en est la traduction immédiate, on est jeté, sans pouvoir s’arrêter, sur une pente rapide, au bas de laquelle s’ouvre, comme un abîme sans fond, le système de l’organisation du travail, tel qu’on l’enseignait au Luxembourg, en mars et avril 1848.

Je ne puis quitter ce sujet de l’intérêt personnel et de la concurrence, sans vous montrer, sous un nouvel aspect, à cette occasion, combien l’accord est intime entre l’économie politique et la morale. La morale nous représente l’homme comme soumis à une triple responsabilité et astreint à de triples devoirs. Il a des devoirs envers lui-même ; mais il a aussi des devoirs envers la société, dont il est un des membres, et qui l’étreint, par la circonscription locale, commune ou département, dans laquelle il est engagé, et par l’État. Il a des devoirs envers Dieu, qui est la bonté infinie, la justice infinie, la puissance infinie dans le temps et dans l’espace, et qui, par rapport à l’homme, représente tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera.

Il n’est pas permis d’isoler l’un de ces trois groupes de devoirs des deux autres, sous peine de tomber dans l’absurde, dans l’impossible,