Page:Chevalier - Accord de l'économie politique et de la morale, 1850.djvu/8

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sonnel lui a été imputée à crime à elle-même. Vous sanctifiez l’égoïsme, lui a-t-on dit, donc vous êtes une science immorale. Le reproche a eu beaucoup d’échos. Aux yeux d’une bonne partie du public, il reste sur l’économie politique comme une indélébile flétrissure. Essayons de le qualifier.

L’économie politique est loin de prétendre que l’intérêt personnel ne puisse être égoïste, elle ne dissimule pas qu’il est tenté de l’être très-souvent. Mais elle soutient que l’intérêt personnel est un mobile d’une très-grande puissance, et que, chez tout peuple qui sera mûr pour la liberté, il faut absolument que ce mobile soit reconnu et qu’on le laisse agir très-largement ; qu’autrement la liberté serait un vain mot : ce qui ne signifie pas cependant que l’intérêt personnel doive être laissé sans règle et sans contrepoids. Quand je dis que l’économie politique soutient cela, messieurs, je m’exprime fort mal. J’usurpe pour elle une attribution qui ne lui appartient aucunement en propre. L’économiste, quand il pose en principe la fécondité de l’intérêt personnel, n’est que l’écho du moraliste.

Il n’y a pas un traité de morale où il ne soit établi que l’intérêt personnel est un ressort de la plus grande énergie, sans lequel la plupart de nos actions n’auraient pas de cause et ne se produiraient pas. Par cela seul que l’homme existe, qu’il a un moi impérissable, dont la destinée lui est confiée, dont il est responsable par-devant Dieu, par-devant la société, par-devant sa propre conscience, il faut bien qu’il s’en occupe. Ce moi éprouve mille besoins divers : ceux-ci de l’ordre moral, ceux-là de l’ordre intellectuel, d’autres de l’ordre physique, tous besoins qui renaissent sans cesse ; car l’activité du moi ne nous laisse pas de repos. Il faut que l’homme qui ressent ces besoins, et qui en a la mesure d’autant plus juste qu’il est plus digne de la liberté, consacre sa vie à les satisfaire. Par cette raison et par bien d’autres, le moraliste signale l’intérêt personnel comme un mobile obligé, comme un mobile parfaitement légitime, pourvu qu’il ne franchisse pas certaines limites que la morale est chargée de tracer. Ainsi, Messieurs, disons-le très-haut, quand ici, en cette chaire, sur les pas des maîtres de l’économie politique, nous ferons intervenir l’intérêt personnel dans nos raisonnements et nos exposés sur la formation et la répartition de la richesse, lorsque nous défendrons le principe de la concurrence, nous ne ferons que répéter les enseignements de la morale. Nous n’aurons, quant à la légitimité du principe de l’intérêt personnel et de la concurrence, rien à démontrer nous-même ; nous prendrons pour établie une vérité de l’ordre moral dont la philosophie et la religion, ces deux augustes sœurs, desquelles on parlait si éloquemment il y a peu de jours, assument toutes deux la démonstration comme une tâche qui leur est propre et dont elles ne sont pas embarrassées.

Il y a quelque temps, après la révolution de Février, cette question