Page:Chevalier - L'Economie politique et le socialisme, 1849.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je ne suis plus que contribuable, Si la loi enjoint à Curtius de se jeter dans le gouffre, ce n’est plus un héros qui, dans son libre arbitre, se dévoue magnanimement pour sa patrie qu’il aime et qu’il voit éplorée ; c’est un malheureux que vous assassinez.

Prescrire la charité et le dévouement par acte législatif, ce n’est rien moins que démoraliser la société ; car on détruit le lien de la sympathie réciproque entre le bienfaiteur et celui qui reçoit le bienfait. On anéantit la liberté du premier, et c’est cette liberté qui eût fait le prix de la bonne œuvre. On détruit dans l’âme de l’autre le parfum de gratitude qui remontait vers le bienfaiteur, dont c’était toute la récompense. L’économie politique, conseillère du législateur, ne saurait avoir plus de puissance que la loi.

C’est ma conviction personnelle que les sociétés européennes en général, la société française en particulier, sont en ce moment dans une position critique d’où elles ne sortiront à leur avantage qu’autant que le sentiment chrétien, que vous appellerez indistinctement de la fraternité, de la charité, y aura acquis un nouvel empire. À nos côtés, tout près de nous, est ouvert un gouffre béant que la haine a creusé et où nous courons le risque d’être ensevelis tous pêle-mêle, sans distinction de classes et de partis ; et ce gouffre, je ne vois que la charité qui puisse le combler. C’est cette sympathie qui, pourvu qu’elle soit mutuelle et réciproque, rattachera les liens sociaux qui sont rompus et mettra fin à nos dissensions, à nos périls, à nos angoisses.

Ce n’est pourtant pas une raison pour oublier que l’économie politique est exclusivement une science de raisonnement et d’observation, et que le sentiment ne reconnaît point sa loi. Elle suppose que les hommes sont animés de désirs honnêtes, elle leur parle comme à des êtres intelligents et moraux, qui aiment à pratiquer la vertu et la jus-