Ce savant économiste, dont on a fait une figure impitoyable, un exterminateur dans le genre d’Attila, ou un bourreau comme Marat, était un ministre du saint Évangile, d’un caractère pieux, des mœurs les plus douces, mais qui, heureusement pour la science et pour la nation dans le sein de laquelle il vécut et ferma tranquillement les yeux il y a peu d’années, était un philosophe observateur, suivant jusqu’au fond des faits sociaux le lien entre les effets et les causes, au lieu de s’arrêter là où se bornent la plupart des intelligences, à la surface. À l’époque où il commença sa carrière, c’était dans toute l’Europe un travers, dont nous ne sommes pas complètement guéris encore, d’imputer aux gouvernements tout le mal qu’il y a sur la terre. Malthus, qui avait une érudition fort étendue à la disposition d’un rare esprit d’analyse, montra que, sous les abus politiques, réels ou supposés, qu’on agitait pour les multiplier aux regards, il y avait une cause du mal plus générale, plus profonde que l’impéritie ou l’indifférence des gouvernements, à savoir : la disproportion entre les subsistances et la population. Il répandit ainsi des lumières inattendues sur l’histoire du genre humain, sur l’origine des désordres qui affligeaient souvent l’humanité, sur les causes de la décadence jusque-là inexpliquée de grands États. Le problème de l’amélioration populaire, qu’on cherchait à résoudre par des changements politiques qui quelquefois n’avaient aucune justification dans le passé des peuples, aucune racine dans l’esprit national, il prouva qu’on ne saurait le résoudre qu’autant qu’on modifierait avantageusement le rapport entre la quantité des subsistances et le nombre des hommes. Il constata que la charité des individus et de l’État, avec les meilleures intentions du monde, prenait très-fréquemment une direction qui conduisait à vicier ce rapport au lieu de le rendre plus favorable, et il eut le courage d’en conclure, non pas qu’il