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fille de les suivre. Morrow sauta sur le cheval qui restait, et ils se mirent en marche en se dirigeant vers le nord-ouest. Le voyage dura jusqu’au surlendemain. Il fut triste comme on le pense bien. Si la jeune fille, préoccupée de mille sombres pensées, parlait peu, Mark Morrow ne paraissait pas disposé à causer. Son œil brillant et profond, attaché sur sa victime, disait seulement l’étendue de l’amour dont il était embrasé, et les noirs projets que lui suggérait la jalousie.

Dans la matinée du second jour, Sylveen reçut injonction de descendre de cheval, et de se laisser bander les yeux. Il fallait obéir ; elle accepta cette nouvelle injure. Ensuite on lui fil parcourir une route escarpée et caillouteuse. La fraîcheur de l’air et un murmure confus l’avertirent qu’elle était au bord d’un cours d’eau. Peu après, elle entendit le grincement du sable sous un corps mis en mouvement, Ce son lui apprit que ses gardiens lançait à l’eau une embarcation.

— Entrez, dit Mark en lui prenant la main, c’est un bateau. Ne tremblez pas ; je n’ai point l’intention de vous noyer.

Sylveen se laissa, sans répondre, asseoir sur un banc. Les deux hommes, qui n’étaient autres que Chris Carrier et Jean Brand, commencèrent à ramer.

Curieuse de savoir où elle allait, Sylveen essaya de soulever légèrement le mouchoir qu’on lui avait noué sur les yeux. Elle réussit à demi, et distingua la surface unie d’un lacet à l’horizon de hautes falaises. Ce fut tout ; car Chris Carrier remarquant que le bandeau était dérangé le rajusta d’un coup de main, en disant :

— Allons, mademoiselle, pas de ces clignements d’yeux sournois, s’il vous plaît !

L’esquif loucha la grève. Jean Brand saisit Sylveen dans ses robustes bras et la porta à quelque distance.

Les ombres s’épaissirent sous son bandeau, et, par l’humanité du lieu où elle se trouvait, elle avait déjà jugé qu’elle était dans un souterrain, lorsque Jean lui commanda de se baisser. Sylveen se rendit à cet ordre. Elle marcha ainsi durant quelques minutes ; puis on l’arrêta en lui disant qu’elle pouvait se redresser. Le mouchoir qui dérobait les objets extérieurs à sa vue fut enlevé. Une éblouissante clarté l’obligea de fermer les yeux. En les rouvrant, elle aperçut une grosse négresse toute réjouie de sa venue.

— Où suis-je ? que vois-je ? demanda la jeune fille.