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— Seigneur, mamselle ; vous être ici ; vous voir moi, répondit promptement la négresse.

Sylveen chercha du regard Mark Morrow, Chris et Jean ; mais ils étaient invisibles. Levant les yeux, elle les arrêta sur un plafond orné par la nature, et duquel pendaient des stalactites dont les brillantes facettes miroitaient à la clarté d’une lampe. Les murailles et le sol étaient tapissés de peaux d’animaux. En un coin s’enfonçait une alcôve creusée dans le roc et défendue par un rideau d’étoffe cramoisie, comme on en voit dans les comptoirs indiens de Selkirk[1]. Cet appartement était garni d’une table, de chaises, d’une petite glace, et de divers autres articles que l’on trouve dans les demeures de la civilisation. Dans une niche s’élevait une pile de livres.

Sylveen contempla ces choses avec une surprise inexprimable. Son instinct lui disait ce que présageait cette salle sous-mondaine et ces meubles. Brisée par les émotions, elle s’assit et pleura à chaudes larmes.

— Ne chagrinez pas vous, mamselle, dit Hagar, la négresse. Vous vous y faire avant longtemps, et vous voir qu’on est joliment bien ici. Tout ça appartient à vous. C’est votre chambre, mamselle. Moi vous attendais depuis plusieurs jours.

— Vous m’attendiez ! dit machinalement Sylveen, au milieu de ses sanglots.

Oui, mamselle ; moi avoir attendu vous longtemps. Massa Marrow avoir renouvelé mobilier. Moi bien de la peine à tout mettre en ordre. C’est parloir à vous, ça. Lui gentil, hein ?

Sylveen était trop agitée pour répondre immédiatement.

— Quel est votre nom ? dit-elle, cependant, en réfléchissant que cette créature pouvait lui faciliter les moyens de s’évader.

— Moi m’appeler Hagar, mamselle, répondit la négresse avec un sourire qui fit trembler les bourrelets de chair qui composaient ses joues.

— Depuis quand demeurez-vous ici ?

— Oh ! bien longtemps : sais pas au juste.

  1. Colonie sur les bords de la rivière Rouge du Nord. Elle fut fondée par le colonel Selkirk en 1812, et compte huit à dix mille habitants, Canadiens, Écossais, Anglais et métis, qui vivent de chasse, de pêche, et commencent cependant à se livrer à des travaux agricoles assez fructueux.