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Le quaker imprimait à ces remarques un sérieux triste quoique risible. Il joignit ses mains, les pressa fortement contre son estomac, roula opiniâtrement ses yeux et attacha sur le trappeur un regard lugubre.

— Allons, donnez, dit Nick. Vous savez que je n’y peux rien et n’y pourrai jamais rien. C’est ce qui me met en colère, oui, pardieu ! Si j’étais un chien, vous n’auriez qu’à me plaindre, mais comme je suis une créature humaine, faites pour moi ce qu’on fait pour un semblable. O-h, a-h ! Comment ça sonne-t-il ?

Whiffles adressa un sourire moqueur à son compagnon et couronna sa période finale en ingurgitant une longue gorgée.

— Ton être extérieur est excessivement noir et païen, dit Abram avec une inaltérable sérénité. Le dieu de ce monde vous a ferme les yeux et vous ne pouvez voir. Il a endurci votre cœur et vous ne pouvez recevoir sa parole. Je crains fort, Nick Whiffles, que tu n’aies fait le mal pendant ta vie. Comme le roi David tu as été un homme de sang et rien n’est plus exécrable.

Se dressant sur ses orteils, le quaker se prit à « ribouler » ses yeux au point que Nick craignit qu’ils ne sortissent de leurs orbites.

— Ça doit être une diablement rude besogne que d’être pieux ! dit Nick. S’il faut avoir un accès de piété toutes les cinq minutes et se démancher ainsi les yeux pour être favorisé d’une œuvre de la grâce, ma foi, je ne me soucie pas d’avoir quelque chose à faire avec elle. Ce que je veux, moi, c’est la raison et la nature, voilà !

— Tu es un tison qui n’a pas encore été retiré du feu, répliqua froidement Abram, examinant une petite colonne de fumée visible dans le lointain.

— Je suis tison mouillé et qui a été retiré de l’eau, sinon du feu, ce qui me justifie assez bien, m’est avis. J’avais jadis une tante qui avait été retirée du feu, disait-elle, et c’était la plus incommode créature que j’aie jamais rencontrée. Elle avait toujours en bouche le prédicateur qui l’avait arrachée au feu. Elle était plus solennelle qu’une chouette, et nous lardait de tranches de poésie comme celle-ci :

« — Sur un sombre sujet tu roules ma pensée, etc., » ce qui m’effrayait diantrement, parfois. « — Tante, lui dis-je un jour, je désire que votre pensée roule sur quelque autre chose.

« — Je le voudrais si je le pouvais, mais je ne le peux, dit-elle.