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dans ces sauvages régions ? Serait-elle tombée dans les pièges de Mark Morrow ? Cette idée m’accable. Mieux vaudrait pour elle la captivité chez les Indiens qu’une pareille destinée.

Le cheval de Kenneth s’arrêta tout à fait, en regardant avec envie le gazon à ses pieds. Le pauvre animal avait un air de fatigue et de découragement parfaitement en rapport avec la physionomie de son maître. Le globe cramoisi du soleil répandait assez de lueurs pour permettre de distinguer une étendue de pays considérable. Sortant de son apathie, Iverson porta ses yeux à droite et à gauche avec plus d’intérêt qu’il n’en avait témoigné jusque-là.

— Oui, j’ai raison, dit-il à haute voix. Voici des accidents de terrain que je me rappelle bien. Le lac doit être là-bas, et ce rocher escarpé doit renfermer la caverne. Ma vie a été trop exposée en ces lieux pour que je les aie déjà oubliés. Quelle nuit que celle que j’y ai passée ! Ah ! jamais elle ne sortira de ma mémoire. C’est sur la plate-forme de cette même falaise que j’ai fait connaissance avec Abram Hammet, personnage singulier, étrangement énigmatique ! Nick était avec moi. Pauvre Nick ! Jamais cœur plus brave et plus bienveillant n’a battu sous une peau plus rugueuse ; non…

À ce moment, le cheval de Kenneth, qui s’était remis en marche, à un avertissement machinal de son maître, s’arrêta de nouveau, recula, en se cabrant, ronflant, et tremblant de tous ses membres.

En vain, Kenneth essaya de le pousser en avant. L’animal épouvanté, ne voulut obéir ni au mors, ni à la voix. À la fin, Iverson mit pied à terre, saisit le cheval par la bride, mais réussit à peine à lui faire faire quelques pas. Frappé de cet entêtement, il chercha à en découvrir la cause et l’attribua à la présence probable de quelque bête fauve.

Par précaution, il attacha son cheval à un arbre, et, apprêtant sa carabine, à tout hasard, il rôda aux environs. Un cri d’horreur et de surprise lui échappa bientôt. Kenneth venait de se heurter contre un cadavre, dont la tête partagée verticalement en deux, comme par un rasoir, portait la terrible signature du tueur inconnu. Tressaillant, le jeune homme s’éloigna au plus vite et ne tarda pas à se trouver sur la place où, peu d’instants auparavant, la jeune Indienne avait failli être brûlée. Les fagots se consumaient lentement devant l’arbre, auquel pendaient les bouts de liens qui avaient retenu la captive. Ces objets silencieux étaient des signes