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le visage renfrogné de Chris Carrier, tu sais ; adore, tandis que tu le peux, la femme pour laquelle tu meurs.

Il s’éloigna en articulant un rire démoniaque.

Sylveen arrêta ses regards sur l’Indien. Il avait les yeux baissés. Mais la détermination était écrite dans tout son maintien.

— Mon pauvre garçon, lui dit-elle avec des larmes dans la voix, à quelle condition t’a réduit ton zèle pour moi ! Cet homme est impitoyable. Ah ! que ne puis-je t’arracher à ses coups !

— Lever-du-soleil, le même sort nous attend tous. Le Loup ne part que quelques jours d’avance. Je ne sais si tous seront semblables dans l’autre contrée, là-bas ! Je pense, cependant, que l’homme rouge aura toujours une peau rouge. La mort ne me fera point pâlir. Vous serez blanche, et moi comme vous me voyez.

— Qu’est-ce que cela a à faire avec le présent ? Qu’importe que la distinction de couleur continue ou se perde ?

— Beaucoup ! beaucoup ! répliqua chaleureusement le jeune homme.

— Comment ?

— Si elle continue, alors il est possible que nous ne nous rencontrions plus, car les territoires de chasse de l’homme rouge seront fort éloignés des villes, séjour de l’homme blanc. Le monde des esprits est vaste. L’Indien sera sûr d’avoir de longues routes à parcourir.

Ayant dit, il soupira.

— Ne crois pas cela ! répliqua Sylveen ; nous nous reverrons encore. La réclusion et le chagrin m’ont épuisée. Je ne vivrai plus longtemps. Quand j’arriverai dans cette contrée où tu vas entrer, je m’informerai de toi. Les habitants me diront, j’en suis sûre, où tu es.

L’adolescent changea de couleur. Ses yeux se relevèrent avec vivacité sur la jeune fille, et un sourire de joie vint jouer sur ses lèvres.

— Quoi, vous me demanderez ? exclama-t-il. Voyagerez-vous vers l’Ouest lointain pour me trouver ?

— Oui, répliqua-t-elle avec émotion, j’irai jusqu’à la terre hantée par les âmes des hommes rouges, chercher le brave jeune homme qui est mort pour me rendre service.