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IV

» Le Loup est content, il est heureux ; il aura maintenant abondance de buffles et de castors ; il pêchera de grands poissons dans des lacs immenses, et il attendra que le Grand Esprit appelle vers lui Lever-du-soleil, pour en orner le wigwam du brave Pied-noir. »

Cette mélodie étrange mit Mark Morrow mal à son aise.

— Je voudrais bien que le louveteau cessât ces jérémiades, marmotta-t-il. Ça ne peut durer longtemps. Le canot n’est presque plus visible. À quoi bon aller si loin ? Encore un peu et je ne les verrai plus.

En prononçant ces mots, il se promenait avec agitation sur la grève.

— Qu’est-ce que la vie humaine ? poursuivit-il, en s’accoudant à une roche. Pour les plus grands et les plus honorés, c’est tout au plus une bulle de savon, un illusion, un mensonge. Qu’est-ce que le crime ? L’injure faite à un autre. Quel est le plus grand crime ? Le meurtre, dit-on. Qui sait ? Le vol est peut-être pire. Ne vaut-il pas mieux tuer quelqu’un que de lui enlever sa subsistance ? Pourquoi arracher la vie est-il une si énorme atrocité ? Qu’est-ce, après tout, sinon arrêter un courant d’air ou jeter de côté un peu de fluide rouge appelé sang ? Qu’importe que ce jeune vaurien perde la respiration ce soir ou dans dix ans d’ici ? Ah ! ils ont fini de ramer. Je distingue leurs mouvements à travers les ténèbres. Ils ajustent la pierre. Tout est prêt ; ils le soulèvent — le balancent dans l’air — il tombe — il enfonce — les eaux se referment sur lui. Adieu au petit du loup !