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bitués qu’ils fussent aux larmes, commençaient à s’humecter. Sa large main caressait doucement la tête de son compagnon.

— C’est ça qui m’aime ! dit-il. Je ne sais ce que c’est : une âme peut-être. Il n’importe ! quoi que ce soit, son affection pour moi est si grande, qu’il a mieux aimé mourir que de se séparer de moi. Ensemble, nous avons mangé, ensemble nous avons bu et dormi dans le désert, toujours les meilleurs et les plus sincères amis. Tous les nègres rouges de l’univers ne pourront nous séparer.

En disant ces mots, Nick plaça avec sollicitude son bras sous le corps du chien et le souleva comme il eut fait d’un enfant malade.

— Bon dieu, qu’allez-vous faire maintenant ? demanda Slocomb surpris.

— L’emporter ! répliqua Nick, résolument.

— Alors, vous êtes perdu !

— Perdu, soit ! Ce chien ferait ça pour moi, s’il le pouvait ; je ne serai pas pire qu’un chien.

— Comme vous voudrez. Mais les Indiens sont à nos talons. Je suis un volcan, une convulsion, un éclat de tonnerre ! Néanmoins, il est des choses qu’un être de ma trempe ne peut exécuter, quoique je veuille battre des ailes et croasser jusqu’à la fin.

La nuit devenait plus sombre. Un réseau de nuages s’était amoncelé à la partie des cieux où le premier croissant de la lune glisse silencieusement dans l’espace. Une forte brise agitait les rameaux des arbres ; et les branchages brisés craquaient, éparpillés par son souffle. Les étoiles jetaient çà et là un pâle et lugubre scintillement sur les feuilles. Parfois, le vent apportait aux oreilles, le rugissement, à demi-humain d’une panthère, auquel répondait comme une sinistre symphonie la voix lamentable d’un loup.

La contrée que parcouraient Nick et son compagnon était assez accidentée. Dans quelques places, de grands bois la couvraient ; dans d’autres, des broussailles et des arbres nains. Ils arrivèrent à un endroit marécageux, qui s’épanouissait en pente sur la droite jusqu’à un hayon ou étang.

Surchargé par son fardeau, Nick enfonçait presque à chaque pas dans la terre molle et détrempée.

— Il nous faut appuyer à gauche, dit Slocomb, en examinant les lieux. Il y a longtemps que le cheval a fait une oblique, et nous devons nous en rapporter à son instinct. Venez de ce côté ; le sol y