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— Maintenant, ajouta Mark, que tu commences à avoir les sentiments d’un homme, je te dirai quelque chose de plus. Ce Kenneth Iverson…

— Grand cœur ! diablement brave ! interrompit avec vivacité Le Loup.

— Oui, il a un certain genre de courage, répondit amèrement Mark ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Mon mauricaud, le monde n’est pas assez large pour lui et pour moi. La vue de sa chevelure dans la hutte de l’un de ta race, ne m’affligerait pas démesurément.

— S’il est votre ennemi, pourquoi ne le tuez-vous ? demanda Le Loup.

— Eh ! je préfère employer une autre main à cette petite besogne ; et cette main, si tu as du courage ce sera la tienne.

Il faisait assez clair pour que Kenneth pût distinguer que Mark se penchait vers l’Indien afin de saisir toutes les nuances de sa physionomie.

— Si j’étais un homme, dit orgueilleusement Le Loup, je ne demanderais pas à un autre ce que je pourrais faire moi-même. N’avez-vous pas une carabine ? n’avez-vous pas un couteau ?

— Loup, dit Mark, as-tu jamais regardé un serpent et vu comme il se glisse agilement à travers les hautes herbes ? On ne connaît sa présence que quand il lève la tête pour mordre. Je voudrais me débarrasser secrètement de ce jeune homme. Il faut qu’il sente le coup, sans savoir d’où il vient et qui l’a porté.

Il fit une pause et continua en ces termes :

— J’ai souvent remarqué les yeux fixés sur ce magnifique revolver et ce poignard monté en argent. Un médecin célèbre a dit que ces armes sont pour leur possesseur une garantie certaine de succès. Les gens de ta race savent que, dans les moments d’inspiration les médecins prononcent des paroles de vérité et de sagesse. Jeune fils des Pieds-noirs, ces armes sont à toi ; prends-les, et que le visage pâle qui t’a tenu sous son joug ignominieux apprenne à les craindre !

Il sembla à Kenneth qu’il entendait les palpitations du cœur de l’Indien. Tout ce que la nature sauvage et passionnée de cet enfant avait d’appétits était surexcité. Depuis longtemps, il désirait ces armes. Pour lui, elles étaient plus précieuses que l’or ou un trône. Il leva la main droite, la laissa tomber sur sa cuisse, la leva encore,