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— Tu as le privilège de marcher au côté de ta maîtresse. Il te sera bien facile, sous un prétexte ou sous un autre, de l’attarder à l’arrière de la brigade, ou de l’en séparer par une course à droite ou à gauche. Si quelques-uns des tiens ont connaissance du plan, ils se tiendront proche, pour vous couper la retraite. Ils agissent avec un parti de gens du Nord-ouest qui sont dans mes intérêts. La belle jeune fille me suivra, tandis que, ayant échappé au joug d’une captivité dégradante, tu iras respirer un air libre dans les huttes des Pieds-noirs.

— Je ne puis trahir la femme aux yeux brillants comme le lever du soleil, repartit soucieusement l’Indien.

— Écoute ! tu auras des chevaux, des fusils, des couteaux d’acier poli, dont l’éclat éblouira les regards de ton ennemi. Que demain soit le jour fixé ! Et, si c’est impraticable demain, essaye le jour suivant et ainsi de suite, jusqu’à ce que tu aies réussi.

— Lever-du-soleil a bon cœur pour Le Loup, répondit-il en hésitant. Langue-croche, son cœur n’est pas gonflé pour vous.

— Le fils de l’homme rouge est-il si dégénéré qu’il aime la chaîne et le collier ? Appellera-t-il l’un maître ? l’autre : maîtresse ?

— Vous insinuez en moi, un mauvais esprit, dit aigrement Le Loup.

— Ah ! tu es trop faible pour mériter la liberté ! fit Mark avec un mépris affecté.

— C’est le discours d’une langue menteuse, répliqua le jeune Indien.

— Stupide enfant, ne sais-tu pas que tu es surveillé, que les trappeurs ont l’ordre de te tuer comme une bête si tu cherches à l’échapper ?

— Je ne le crois pas, dit dubitativement Le Loup.

— Resserre donc tes liens, et que ton nom devienne un signe de réprobation parmi les braves de ta race.

— Langue-croche, je réfléchirai à vos paroles et si elles me semblent bonnes, je vous tiendrai un autre langage.

Sa confiance dans les visages pâles était évidemment ébranlée. Morrow avait su toucher la corde sensible. Dans ses veines, il avait instillé un poison qui, déjà, travaillait et fermentait. Le Loup était en proie à un combat, dans lequel son amour pour Sylveen luttait contre son antipathie naturelle pour les blancs et la captivité.