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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

et comprit qu’on avait dû la prendre pour un espion déguisé. Enfin ils atteignirent la maison de poste ; elle fut enfermée dans une chambre, le Cosaque montant la garde à sa porte. Elle y passa toute la nuit sans nourriture, et le lendemain, lorsqu’elle eut pu se faire apporter ses bagages et montrer son passeport, on la congédia sans explication et sans excuse de cet injurieux traitement. « Oh ! mes bons Arabes ! Turcs ! Persans ! Hindous ! ce n’est pas chez vous que pareille aventure me serait arrivée ! » s’écrie-t-elle en ajoutant des remarques peu flatteuses sur la grossièreté russe. À travers la Géorgie elle gagna Kertch, sur la mer d’Azof, puis Odessa, et enfin Constantinople. Elle n’y séjourna que quelques jours et se hâta de se rendre à Athènes. Là elle foulait une terre de souvenirs. Chaque ruine, chaque temple, chaque colonne brisée lui rappelait une action héroïque ou un nom illustre. Mme Pfeiffer n’était pas une femme savante, mais elle avait assez lu pour contempler avec intérêt, du haut de l’Acropole, les plaines de l’Attique et les flots de la mer Égée. Elle n’était pas artiste, mais elle avait le sentiment du beau, et elle admira avec une vive jouissance le Parthénon et tant d’autres monuments célèbres. Enfin, par Corfou, elle rentra à Trieste. Son entreprise hardie s’achevait le 30 octobre 1848, et elle pouvait se glorifier justement d’être la première femme qui eût fait le tour complet du globe. Son voyage avait duré deux ans et demi. Elle obtint toute l’admiration qu’elle méritait, et son très simple récit du Voyage d’une femme autour du monde fut favorablement accueilli du public.

Après son retour, elle déclara tout d’abord que ses expéditions lointaines étaient achevées, et qu’à l’âge de cinquante et un ans elle ne désirait plus que la paix et le repos. Mais son activité, sa soif de science, son besoin de voir des scènes nouvelles, ne purent longtemps être réprimés ; et comme elle se sentait toujours forte et bien portante, aussi énergique que dans sa jeunesse, elle résolut de recommencer un second voyage de la même importance que le premier. Le gouvernement autrichien lui accorda une somme de quinze cents florins pour l’aider à subvenir à ses dépenses, et, après deux ans et demi d’intervalle, elle se remit en route le 18 mars 1851, alla à Londres, et se rendit de là au Cap, d’où elle avait pensé pénétrer dans l’intérieur de l’Afrique jusqu’au lac Ngami. Mais elle changea d’intention, ce projet étant d’exécution trop difficile, et se décida à visiter une partie de l’Océanie. Elle rembarqua donc pour Sarawac,