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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

fait une idée assez fausse des derviches. Tout musulman peut se transformer sur l’heure en derviche, pourvu qu’il attache à son cou ou à sa ceinture un talisman quelconque, une pierre recueillie sur le tombeau de la Mecque, ou telle autre chose qui lui plaira. Il y a même des derviches qui se contentent de porter sur leur tête un bonnet pointu en peau de chèvre, et cette distinction suffit à établir sans contestation, au profit de celui qui la porte, son droit au titre de derviche et à la vénération des fidèles. Les derviches ont rarement un domicile fixe. Errants pour la plupart, ils vivent d’aumônes chemin faisant, quitte à se faire voleurs quand la bienfaisance nationale se trouve en défaut. »

Un peu plus loin, nous trouvons dans le récit de la princesse un gracieux tableau au départ d’Angora.

« Je n’ai gardé de ces longues heures de marche que le souvenir d’une soirée passée à Merdeché, village turcoman. Nous y étions arrivés un peu après le coucher du soleil. Pendant que notre cuisinier préparait le souper, je sortis du village et me dirigeai vers la fontaine qui n’en était éloignée que de quelques pas. J’y étais à peine, qu’une procession de jeunes filles, sorties des maisons, vint y puiser de l’eau. Elles portaient de larges pantalons bleus noués autour de la cheville, un étroit jupon rouge ouvert sur les côtés et traînant par derrière, mais relevé et retenu par des cordons de couleurs diverses ; une écharpe, roulée plusieurs fois autour de la taille, séparait le jupon rouge d’une jaquette de même couleur, à manches étroites, descendant au coude, ouverte sur la poitrine, et que recouvrait une chemise en étoffe blanche très fine. Pour coiffure elles n’avaient qu’un fez à large gland orné et presque entièrement recouvert de pièces de monnaie. Les cheveux tressés pendaient presque jusqu’à terre, et chaque natte était terminée par un petit paquet d’autres pièces de monnaie, qui étaient comme semées sur toutes les parties de l’ajustement, sur le corsage, les manches, et sur la chemise. Chacune de ces jeunes filles portait sur la tête la cruche qu’elle venait remplir, et la reportait de même au logis. Quand elles arrivèrent à la fontaine, ce fut un charmant concert de causeries, d’éclats de rire et de chansons. Ma présence, qui d’abord gênait les ébats, finit par les exciter. Les unes s’approchaient timidement pour examiner la manière dont mes cheveux étaient relevés, et poussaient des exclamations d’étonnement à la vue de mon peigne ; d’autres, plus hardies, s’aventuraient à poser leurs doigts