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PRINCESSE BELGIOJOSO

sur l’étoffe de mon manteau ; puis elles se sauvaient en riant et en courant, comme si elles eussent accompli un acte de bravoure incomparable. Cependant le soleil avait disparu derrière les montagnes ; les troupeaux traversaient le fond de la vallée et se rapprochaient des maisons ; les chiens, gardiens fidèles de la propriété de leurs maîtres, s’établissaient accroupis devant les portes ; les ombres approchaient rapidement, et les feux s’allumaient sur divers points ; il me fallut quitter le joyeux essaim des jeunes filles, la verte vallée, et me rapprocher de notre logement. Ce fut une agréable soirée. »

De Kircher à Césarée, le temps fut pluvieux, le paysage sombre, la population malveillante. À Césarée, on célébrait le carnaval par des réjouissances qui avaient lieu sur les toits des maisons, communiquant par des escaliers ou des échelles ; les habitants, richement vêtus, y passaient leurs journées. Les hommes portaient surtout de belles fourrures ; les femmes avaient de longues robes, d’immenses pantalons, plusieurs corsages d’étoffes et de couleurs diverses, le fez, les nattes pendantes et chargées de pièces de monnaie. Les Arméniennes de Césarée sont renommées pour le goût et l’opulence de leurs toilettes.

« Le fond du fez et le gland sont brodés en or et quelquefois en perles ; les cheveux forment douze à quinze petites nattes d’égale longueur et tombent aussi bas que possible ; mais ici les monnaies d’or ne sont pas reléguées à l’extrémité des nattes ; cousues sur un petit ruban noir qui les relie au milieu, elles forment un quart de cercle brillant qui tranche singulièrement avec la nuance foncée des cheveux. Le front, le cou, les bras sont couverts de ces sequins ; des fleurs en pierres précieuses, des agrafes, des colliers, décorent le corsage et la tête. Les jeunes filles les plus magnifiquement parées sont les mieux dotées, car la coutume est de porter sa dot sur soi en bijoux… C’était réellement un spectacle curieux que de voir ces femmes paradant en plein air avec leurs diamants à une élévation que n’atteignent dans nos contrées que les chats et les ramoneurs. Elles se promenaient, se rendaient visite, toujours sur les toits, et se livraient gaiement aux jeux et à la danse. »

L’itinéraire que la princesse s’était tracé la conduisait à travers le Djaour-Daghda, contrée montagneuse dont les habitants, qui ont une fort mauvaise réputation, sont sans cesse en révolte contre leur bey, dépendant du pacha d’Adana, qui lui-même est un dignitaire de la Porte. La princesse s’adressa à ce dernier pour obtenir une