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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

escorte, et elle fait une curieuse description du palais de ce demi-souverain. Le palais, si on peut lui donner ce titre, était précédé d’une grande cour malpropre, entourée de bâtiments peu élevés et ombragée de quelques palmiers. « Ici des soldats albanais, avec leur courte et simple jupe blanche, leurs guêtres rouges brodées de paillettes, leurs casaques à manches pendantes et à corsage tout chamarré d’or et d’argent, jouaient aux dés sur les dalles de la cour, et semblaient tous également déterminés à ne pas perdre la partie. Un peu plus loin, un Bédouin du désert, debout auprès de son cheval, un bras passé dans la bride, le corps enveloppé d’un immense manteau blanc, la tête couverte d’un mouchoir en soie jaune et rouge qui retombait comme un voile sur son brun et fier visage, sa longue pique de douze pieds à la main, regardait avec indifférence et dédain les joueurs avides et impatients. Le long des murs de droite, de magnifiques chevaux arabes, attachés par des chaînes à des anneaux de fer enfoncés dans la muraille, recevaient en hennissant et en piaffant les soins des palefreniers égyptiens à la blouse bleue, au teint presque noir, petits et maigres, mais robustes et intelligents. Enfin, un peu en avant du mur de gauche, dans un petit espace réservé entre le mur même et une palissade en bois, une dizaine de prisonniers, à moitié couverts de haillons, enchaînés par les pieds et par les mains, tendaient les bras en demandant l’aumône. J’aurais bien voulu m’arrêter quelques minutes dans cette cour, mais les amis qui m’accompagnaient ne cessaient de me répéter que ma visite était annoncée au pacha, que j’étais attendue, qu’il fallait me hâter. Arrivée à l’entrée du vestibule de la tour carrée, il devint superflu de me défendre contre leurs exhortations. Une avalanche de secrétaires, d’allumeurs de pipes, grilleurs de café, valets de chambres et autres dignitaires, se précipita bruyamment à ma rencontre. Les uns me prenaient par le bras, par l’ourlet de ma robe ou un pan de mon manteau ; les autres s’élançant en avant pour m’annoncer à leur maître, les derniers fermant le cortège, ils m’emportèrent comme dans un tourbillon jusqu’au sommet de l’échelle. »

Le pacha d’Adana se trouva être un homme intelligent et instruit, qui parlait le français ; il interrogea sa visiteuse avec intérêt sur la politique européenne ; puis, lorsqu’ils passèrent à l’affaire qu’elle était venue traiter avec lui, il la déconseilla fortement de continuer, comme elle se le proposait, sa route par terre jusqu’à Jérusalem, à cause des bandes d’Arabes dont le Djaour-Daghda et les passages