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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

Nous arrivâmes en chantant à Grindelwald, où l’on nous regardait avec une telle stupeur, qu’on avait l’air de nous prendre pour des revenants… Au bas de la colline du Grindelwald, je m’arrêtai au chalet de Pierre Bohren ; j’y montai pour voir sa femme ; elle tenait dans ses bras un enfant de quelques jours, que j’embrassai en promettant d’être sa marraine. À mi-chemin d’Interlaken, un orage aussi violent que celui dont j’avais été accompagnée à mon départ éclata avec un bruit formidable, une pluie battante et des éclairs éblouissants qui sillonnaient les sombres nuées. Les guides ne s’étaient pas trompés : nous aurions eu à subir cette tempête sur les plus hauts sommets des Alpes, si nous avions poussé plus loin notre excursion. Le lendemain, quand je me levai, mon visage n’était qu’une plaie, et j’éprouvai longtemps des souffrances atroces. Tout aussi fatigués que moi, les guides arrivèrent en chantant pour me voir et m’apporter un superbe diplôme sur papier timbré. »

Quelques années plus tard, la princesse parcourut la Grèce, où elle reçut un accueil enthousiaste, et où on lui fit des ovations comme à une souveraine. On saluait en elle l’auteur de la Nationalité hellénique, l’avocat libéral et zélé des droits, des coutumes et de l’avenir de la Grèce. Après avoir étudié à Athènes les monuments de l’antiquité et fait plusieurs excursions scientifiques et archéologiques à travers l’Attique, elle traversa les naumachies ou provinces du royaume de Grèce, dans le but d’acquérir une idée complète et précise de la situation des populations rurales. Cette longue course dans un pays qui offre peu de facilités aux voyageurs dut être faite tout entière à cheval, et il fallut à la princesse, pour l’accomplir, autant d’énergie que de persévérance, et une force morale et physique à la hauteur de toutes les épreuves. Elle dut supporter des fatigues incessantes et la chaleur brûlante du soleil, ne se laisser effrayer ni par les routes dangereuses, ni par les précipices, ni par les brigands. Mais, en dépit des conseils de la prudence et des prières de ses amis, l’intrépide voyageuse ne voulut omettre aucune portion de son itinéraire ; elle visita successivement la Béotie, la Phocide, l’Étolie et le Péloponèse. Quand les montagnards de la Laconie la virent passer à cheval dans leurs gorges sauvages, ils s’écrièrent avec enthousiasme : « Voilà une vraie Spartiate ! » et la supplièrent de se mettre à leur tête pour marcher contre Constantinople. En quittant la Grèce, la princesse re-