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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

aux cimetières, où, assises sous les oliviers, elles passent leur temps à ne rien faire. »

Après avoir vu les lieux les plus remarquables de la terre sainte, Mlle Bremer étendit son voyage jusqu’aux côtes de la Turquie d’Asie, et visita Beyrouth, Tripoli, Rhodes, Smyrne, et enfin Constantinople. En disant adieu à l’Orient, elle exprime sa joie d’avoir appris à le connaître ; mais elle ajoute que tous ses trésors ne la décideraient pas à passer sa vie dans cette atmosphère indolente. Elle aimait l’activité intellectuelle, la vie morale de l’Occident ; et l’inertie orientale irrite presque jusqu’à la folie un esprit énergique.

Mais elle allait porter ses pas dans la Grèce classique, la patrie de Solon, de Périclès et de Sophocle, le pays aimé de Byron et de Shelley, la terre du patriotisme et de la poésie : terre de laquelle sont nés les mythes des dieux et les légendes des héros, terre que l’art et la nature, en s’unissant, se sont plu à embellir de leurs plus rares trésors. L’impression qu’elle en reçut fut profonde. Elle écrit d’Athènes :

« Je confesse que l’effet produit sur moi par l’existence et les objets qui m’entourent me fait craindre que mon séjour ici n’ait plus de fin ; c’est pour moi une crainte, car sous ce limpide ciel olympien, au milieu de cette fête délicieuse de tous les sens, on pourrait arriver, non pas à oublier, mais à sentir moins fortement le grand but de cette vie que l’Homme-Dieu a rachetée pour nous, par sa naissance, sa mort et sa résurrection. C’est pourquoi je quitterai bientôt la Grèce pour retourner vers mon pays du Nord, vers ses cieux voilés et ses longs hivers, qui ne me feront par courir le danger de trouver trop de charmes à cette existence terrestre. Pourtant je suis heureuse de pouvoir dire à mes compatriotes : Si quelqu’un de vous souffre dans son corps ou son âme du froid cuisant du Nord ou du lourd fardeau de la vie, qu’il vienne ici ; qu’il n’aille pas en Italie, où l’on trouve le sirocco, et où la pluie, quand elle commence, tombe comme si elle devait tomber toujours, mais ici, où l’air est limpide, où les temples, encore debout, attirent le regard vers les hauteurs, où les montagnes et la mer font aux yeux un vaste horizon, riche de couleur, de pensée et de sentiment ; que sous les colonnades sacrées ou sous les ombrages classiques il écoute de nouveau le divin Platon ; qu’il se nourrisse le regard et l’esprit, l’âme et le corps, de cette beauté antique et toujours nouvelle, qui était jadis et qui renaît maintenant à la vie, et sa vigueur lui