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FRÉDÉRIKA BREMER

Le 12 novembre, ils arrivèrent à Tien-Tsin. La légation française fut installée dans un yamoun cédé par un riche Chinois. Ce mot signifie la réunion de kiosques, de jardins et de pavillons qui sert de demeure aux mandarins. Grâce à l’influence de Mme de Bourboulon, cette habitation devint le centre brillant de la société européenne. Elle-même en fait une gracieuse description : l’art chinois y déployait toutes ses merveilles les couleurs de l’arc-en-ciel y brillaient partout ; les murs étaient décorés de charmants paysages ; des mers d’azur, des lacs transparents, des forêts, une chasse impériale, « où antilopes et chevreuils fuyaient de tous côtés, percés de flèches, et poursuivis par des chiens la queue en trompette ; » en un mot, tous les délices d’un Éden chinois. Mais la jeune femme ne se renfermait pas dans ses plaisirs ; son cœur et ses mains étaient toujours prêts pour les travaux charitables, et les Chinois pauvres avaient de nombreuses occasions d’éprouver sa bienfaisance. Entre autres bonnes œuvres, elle adopta une petite orpheline dont elle dit : « J’ai recueilli, il y a quelque temps, une jeune Chinoise de onze à douze ans qu’on a trouvée, après la prise de Pehtang, dans une maison où ses parents avaient été massacrés. Elle devait appartenir à une bonne famille ; j’essaye de faire son éducation, mais elle n’est sensible à rien. Son enfantillage excessif n’est-il pas le résultat de l’absence de toute éducation chez les femmes de ce pays ? Elle dort et mange bien, est fort gaie, et ne semble pas se souvenir ni se soucier en aucune façon de l’affreux malheur qui l’a séparée de tous les siens. J’exige qu’elle cesse de se martyriser les pieds, mais elle est moins docile sur ce point que sur les autres ; ses pieds ne sont pas encore déformés, et ils reprendraient leur forme naturelle ; cependant, quand on défait les bandelettes qui les compriment, elle a bien soin de les replacer la nuit… Ma jeune Chinoise se civilise tout à fait ; j’en ai fait une chrétienne, et j’ai été sa marraine. Désormais elle s’appellera Catherine, et c’est sous ce nom que je l’envoie à l’évêque de Shanghaï, qui fera continuer son éducation dans la maison religieuse placée sous sa haute surveillance. »

Il serait curieux de savoir ce que pensaient les Chinois de cette belle et courageuse personne ; car ils étaient et sont encore, à vrai dire, peu accoutumés à voir des Européennes, et ils s’habituent difficilement à l’idée qu’une femme de rang élevé ne compromet pas sa dignité en circulant aussi librement que les servantes et les femmes de la classe inférieure. Un petit incident raconté par Mme de