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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

Bourboulon nous prouvera jusqu’à un certain point ce que les Chinois, au moins les gens du peuple, pensent de leurs femmes. Le vieux cuisinier de l’ambassade, Ky-Tin, dont elle avait hérité avec la maison, ayant obtenu de sa maîtresse un jour de congé pour aller voir sa famille dans le voisinage, lui parlait au retour de ses fils, qu’il avait trouvés bien grandis, et pour lesquels il voulait travailler jusqu’à son dernier souffle. « Et tes femmes ? lui demandai-je.

— Les femmes, répondit-il dans son français barbare et avec un air de souverain mépris, pas bon, pas bon ; bambou, bambou ! » Ainsi le bâton, voilà le seul argument que les Chinois ont découvert à l’usage du sexe faible, et, dans ce mépris pour les femmes, on peut trouver la cause de la démoralisation et de la dégradation qui se manifestent sous tant de rapports dans le Céleste Empire.

Mme de Bourboulon passa tranquillement à Tien-Tsin l’hiver de 1860 à 1861, sa santé ne lui permettant pas, par ce temps rigoureux, de faire le voyage de Pékin ; mais, le 22 mars, toute la légation partit pour la capitale, Mme de Bourboulon en litière, trop souffrante pour faire le moindre mouvement et accompagnée de son médecin. Heureusement le changement d’air et le déplacement sans fatigue lui rendirent un peu de forces. Il y a environ trente lieues de Tien-Tsin à Pékin ; on traverse une grande plaine qui fut la scène de l’odieuse trahison commise en 1858 à l’égard des parlementaires anglais et français ; et presque aux portes de Pékin on trouve la grande ville de 21 septembre 1860, l’armée alliée, malgré son petit nombre, soutint victorieusement le choc de vingt-cinq mille cavaliers tartares, qui s’entassèrent sur le pont et s’y firent écraser par l’artillerie. Ce pont curieux a cent cinquante mètres de long sur trente de large ; les balustrades de marbre en sont artistement ciselées et surmontées de lions dans le goût chinois.

En arrivant à Pékin, l’ambassade française fut installée dans un palais de la ville tartare. Cinq mois plus tard éclatait la révolution de palais qui porta le prince Kong au pouvoir. Ce prince était favorable aux Européens, et sous son gouvernement Mme de Bourboulon put sans crainte circuler dans Pékin. Le ministre de France obtint en outre un décret impérial très favorable aux missionnaires, qui leur permettait de voyager sans difficultés dans l’intérieur du royaume et leur rendait tous leurs établissements religieux. La