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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

opinion dans laquelle il affectait de tenir l’intelligence féminine.

Peu disposé, s’il l’avait pu, à soutenir une telle hérésie contre une adversaire qui en était par elle-même la plus irrésistible réfutation, lord Byron se réfugia dans l’assentiment et le silence, et, aux yeux d’une femme d’esprit, cette déférence de bon goût équivalant à une concession, ils devinrent dès lors les meilleurs amis du monde.

À Constantinople, où elle se rendit ensuite, lady Hester séjourna plusieurs années. La vie d’Orient avait beaucoup de charmes pour son imagination et flattait sa plus grande faiblesse ; elle se plaisait à cette soumission passive à ses moindres ordres, à l’obéissance presque servile que les Orientaux témoignent à leurs maîtres, à ce contraste frappant entre l’ancienne et la nouvelle civilisation. Mais elle finit par se fatiguer de la cité dorée, trop voisine encore des idées européennes, et ne lui offrant pas ce trône solitaire et indépendant que rêvait son ambition insatiable. Elle résolut d’aller le chercher dans les plaines de la Syrie, et s’embarqua dans ce but sur un navire de commerce anglais qu’elle avait chargé de ses trésors, de pierreries d’une valeur immense, et d’une foule de coûteux présents destinés à lui valoir l’hommage et la soumission des tribus syriennes. Assailli par une violente tempête, le bâtiment se brisa contre un récif près de l’île de Rhodes. Les vagues dévorèrent les trésors de lady Hester ; elle-même faillit périr, et demeura vingt-quatre heures sur une petite île déserte, sans nourriture et sans abri ; des pêcheurs levantins l’y recueillirent et la conduisirent à Rhodes.

Ce malheur ne la découragea pas ; elle retourna en Angleterre, y rassembla les débris de son immense fortune, vendit une partie de ses propriétés, acheta un autre vaisseau et repartit une seconde fois pour l’Orient. Rien ne troubla ce second voyage, et lady Hester débarqua sans encombre à Latakié, petit port de Syrie, entre Tripoli et Alexandrette. Elle loua une maison dans le voisinage et commença l’étude de l’arabe, tout en faisant activement les préparatifs de son voyage en Syrie.

Lorsqu’elle eut acquis une connaissance suffisante du langage, des coutumes et des mœurs de ces populations, lady Hester organisa une nombreuse caravane et commença par visiter toutes les parties de la Syrie. Elle s’arrêta successivement à Jérusalem, à Damas, à Alep, à Balbeck et à Palmyre, menant un train presque royal. Sa majestueuse beauté ainsi que la splendeur dont elle s’entourait firent une telle impression sur les tribus d’Arabes errants, qu’ils la