Page:Chevalier - Les voyageuses au XIXe siècle, 1889.pdf/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LADY HESTER STANHOPE

proclamèrent reine de Palmyre, et que tout Européen muni d’un sauf-conduit délivré par elle put dès lors circuler sans danger dans leur désert ; mais à son retour elle faillit être enlevée par d’autres tribus arabes ennemies de celles qui lui avaient juré obéissance, et elle ne dut son salut qu’à la vitesse de ses chevaux.

Pendant quelques années, elle mena une vie errante comme ses nouveaux sujets, habitant tantôt Damas, tantôt quelque autre ville de la Syrie. Ses prétentions royales ne faisaient que croître à mesure que grandissait sa confiance dans leur succès elle fixa enfin sa demeure dans une solitude presque inaccessible du mont Liban, près de Saïd, l’ancienne Sidon, où le pacha de Saint-Jean-d’Acre lui concéda les restes d’un couvent en ruines et le village de Djioun, habité par des Druses. Ce fut là qu’elle planta sa tente. Le couvent était une masse énorme et grisâtre de bâtiments irréguliers qui, par sa position ainsi que par la nudité triste et sévère de ses murailles, faisait l’effet d’une forteresse abandonnée ; c’était jadis un grand monastère, et, comme tous ceux de la contrée, il avait été construit de façon à soutenir au besoin l’assaut d’ennemis qui, dépourvus des moyens de faire un siège en règle, étaient en revanche fort capables d’un coup de main. Hester Stanhope construisit un nouveau mur d’enceinte et créa à l’intérieur un charmant jardin dans le goût turc, avec des kiosques, des fontaines jaillissantes, des bosquets d’orangers et de citronniers. Elle peupla cette résidence d’une nombreuse suite de drogmans européens ou arabes, de femmes, d’esclaves noirs et d’une garde albanaise. Elle y vécut comme une souveraine indépendante, ayant sa cour, son territoire, et, nous devons l’ajouter, son code de lois particulier ; entretenant des relations politiques avec la Porte, avec Beschir, le célèbre émir du Liban, et avec les cheiks des tribus du désert. Elle exerçait sur ces derniers une singulière influence. M. Kinglake rapporte qu’elle entra en relation avec les Bédouins, en commençant par faire un présent de cinq cents livres anglaises, somme énorme en piastres, au chef dont l’autorité était reconnue entre Damas et Palmyre. « Le prestige créé par les vagues rumeurs de son rang très élevé, que personne ne pouvait au juste définir, ainsi que de son immense fortune et de sa magnificence, était soutenu par son caractère impérieux et son indomptable bravoure. »

Lady Hester, en causant avec ses visiteurs européens, racontait parfois quelques-unes des circonstances qui l’avaient aidée à acquérir cette influence presque égale à une souveraineté de fait.