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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

dans le pays des hommes blancs, maintenant qu’il m’avait vue. »

En 1883, lady Barker a de nouveau suivi son mari dans l’Australie occidentale, dont il était nommé gouverneur. Nous devons à cette circonstance les Lettres à Guy[1], adressées à leur fils aîné, qu’ils avaient laissé en Angleterre pour son éducation. Ces lettres sont charmantes, quoique fort simples et telles qu’une mère peut les écrire à un enfant de treize ans. Il est facile d’en détacher une ou deux pages.

« Nous ne tardâmes pas à pénétrer dans les grandes « plaines de sable », comme on les appelle ; en réalité, c’est un coin du vaste désert qui s’étend au centre de l’Australie ; il s’allonge comme un bras étroit entre l’excellent pays de Dongara et les bons pâturages à moutons qui lui font face. Il n’y a pas moyen de l’éviter ; tout ce que le gouvernement a pu faire a été de creuser des puits et de mettre des troncs d’arbres creux pour désaltérer les animaux, quand on peut trouver de l’eau… Nous fîmes toutes sortes de suppositions sur le changement qu’un chemin de fer y opérera d’un jour à l’autre. Je ne sais si je pourrai vous donner une idée de ce désert, qui paraissait plus étrange encore en le voyant, comme nous, pour la première fois, au moment où l’aurore l’éclairait peu à peu et où le soleil, pareil à une grosse boule rouge, se montrait tout au bord, à l’orient. Si vous pouvez vous figurer un océan de sable au lieu d’un océan d’eau, vous aurez une faible image de ce que nous avons vu autour de nous pendant des lieues et des lieues. Et ce n’était pas un océan paisible, mais avec d’énormes vagues comme immobilisées par une baguette magique. Nous montions et nous descendions ces vagues, prenant soin de suivre les poteaux télégraphiques et ne voyant d’autres traces que celles laissées par notre propre chariot trois ou quatre jours avant. Il était impossible d’aller autrement qu’au pas ; lorsque nous gravissions une des vagues, nous marchions très, très lentement. Le sable fin coulait comme de l’eau des hautes roues de la voiture, et l’on n’entendait d’autre bruit que les craquements de l’équipage et quelques paroles d’encouragement du conducteur à ses bons chevaux, qui baissaient la tête et tiraient avec patience. D’abord nous ne vîmes que de maigres buissons ; mais, une fois dans la plaine de sable, les fleurs se montrèrent. N’est-ce pas étrange ? Je me rappelai le verset de la Bible qui dit que le désert fleurira comme

  1. Letters to Guy.