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Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/144

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que produit le mensonge moral, même en faveur de la meilleure des causes, sur celui qui s’y livre et ceux qui en profitent.

Depuis lors, Robert Hichens n’a plus rien écrit qui rappelle ces trois œuvres. C’est une destinée analogue à celle de E. M. Forster.

Après The Longest Journey (1907) et Howard’s End (1910) on pouvait considérer ce dernier comme un des romanciers les plus riches d’idées et de talent. Toute la première partie de Howard’s End, surtout les conversations des « misses » Schlegel, est pleine de sève intellectuelle et sentimentale. On y respire une sorte de fraîcheur savante qui est proprement unique dans la littérature anglaise. La seconde partie paraît moins heureuse et verse au mélodrame. Mais il y avait dans ce livre une promesse formelle, qui n’a pas encore été tenue. M. Forster n’a d’ailleurs guère dépassé la quarantaine.

Un immense public, assez cultivé pour ne pas goûter les histoires sentimentales des feuilletonistes, mais trop occupé ou trop superficiel pour chercher dans la lecture autre chose qu’un divertissement sans fatigue, fait vivre une foule de romanciers, et absorbe chaque année des tonnes de littérature. C’est à ces lecteurs et à ces auteurs que pense l’étranger quand il constate le goût déplorablement facile du public et la puérilité des œuvres dont il se nourrit. On oublie que, d’après un calcul approximatif, dix-sept millions d’Anglais sur quarante lisent au moins un volume de fiction par mois. Si nos écrivains avaient le même nombre de clients, est-on sûr qu’ils seraient moins puérils, moins prolixes ? On oublie aussi qu’à côté de ce public et de ses fournisseurs habituels il se trouve un autre public et d’autres auteurs, qui n’ont pas moins d’idées ni peut-être de talent que les nôtres,