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Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/42

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jusque dans sa déchéance, et passionnée jusque dans le plus commun terre-à-terre de son existence. À partir de Dickens, de Thackeray, des Brontë, cet élément ne manquera plus à la fiction britannique, et quand, au cours du siècle, l’origine et le destin de l’homme seront, par la science et la religion, l’objet d’une passion d’enquête plus formidable qu’en aucun autre âge, le roman n’en deviendra que plus intensément, plus profondément mêlé à la vie même de l’humanité. George Eliot, George Meredith, Thomas Hardy en témoignent. Ainsi s’explique cette intensité, ce sérieux parfois ému jusque dans le burlesque, ce ton souvent prophétique, cette préoccupation du général au sein du particulier, cette intervention de l’éternel dans le présent qui, même chez les plus sceptiques en apparence comme Thackeray, distinguent les grands romanciers du dix-neuvième siècle.

L’espérance — ou l’illusion — d’une certitude morale, d’une explication définitive de la vie, la hantise d’un problème, parfois d’une doctrine, sont rarement absentes de leur œuvre. Le roman avait bien, même à son origine, servi comme moyen d’enseignement, de propagande. Mais la fiction s’y trouvait adjointe à la leçon, la confiture à l’aloès, pour faire passer une médecine. Au dix-neuvième siècle, doctrine et récit tendent à se confondre. C’est le roman lui-même qui est l’enseignement, ou l’enseignement qui est romanesque. Il y a beaucoup de confiture d’aloès dans la fiction moderne. Le ton et l’intention didactiques, l’intervention directe de l’auteur, s’étendent à tous les domaines, à tous les problèmes. Le roman épouse la politique et la sociologie, la science et la conscience, sert au transport en commun des intelligences, devient un moyen universel d’expression, l’omnibus de la littérature, mais sans abdiquer sa fonction primordiale,