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DANS L’INDE.

orgues ambulants de Paris et de Londres, le Beau Danube bleu, ou bien Sweet Dream faces, ou cet éternel Kathlem Mavourneen qui, malgré la sentimentalité sotte de ses paroles, saisit toujours par sa mélancolie de vieille chanson. Que tout cela est connu !… Et pourtant, on ne peut s’abstraire de toutes ces choses usées… Vraiment, il faut un effort pour ressaisir par l’imagination l’étrange réalité, pour songer à l’étendue obscure qui nous porte, qui se meut dans la nuit autour des bruits humains, aux trois mille mètres verticaux qui nous séparent de cette terre sous-marine, éternellement opprimée du poids de l’eau noire, à ces tonds inconnus où les choses sont immobiles depuis des milliers de siècles. Mais allez tout à l’arrière et levez la tête au-dessus de la tente : brusquement promeneurs disparaissent, les valses cessent, la lumière Edison s’éteint. Un vent violent vous frappe au visage et vous surprend. Tout d’abord, vous ne voyez rien que la noirceur du vide : soudain les grands mats surgissent avec rentre-croisement des vergues, leurs immenses lignes géométriques, balancées lentement sur les claires étoiles, sur le fourmillement des poussières cosmiques : une rumeur infinie emplit l’obscurité. A vos pieds, sous un bouillonnement noir, des masses phosphorescentes, des globes bleuâtres fuient, et, battus follement par l’hélice, font une large route laiteuse, un grand