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EN MER. 9

sillon vague dans les ténèbres. Et l’on se croit seul sur l’énorme chose qui court aveuglément dans l’ombre, perdu dans la nuit entre le mystère de cette eau qui couve une vie lumineuse et le mystère de ce ciel où luisent, en taches blanchâtres, les soleils qui ne sont pas encore formés ; entre ces deux noirceurs accablantes où flottent les ébauches venues on ne sait d’où, des mondes et de la vie…

7 novembre

Peu de promeneurs sur le pont, ce matin. Toute la journée, de grands mouvements de roulis : le navire se couche lentement à bâbord, se relève, se couche à tribord, et ses trois mâts décrivent une oscillation régulière sur le ciel… L’énorme bête dont on perçoit les sourdes pulsations intérieures, tressaille, exulte de ce mouvement puissant et lent, de ce profond balancement rythmique, de cette course en avant dans la lourde houle bleue qui soulève la mer en larges dômes vitreux, de toute cette agitation qui nous vient du sud, des grands espaces d’eau qui couvrent tout l’hémisphère lustral. Par delà l’épaisseur des bastingages, c’est un tumulte liquide, un fracas joyeux d’écume splendide croulant dans du bleu, de folle poussière blanche étalée en nappes frémissantes dans un éblouissement de lumière et oui s’enfuit en sillon