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DANS L’INDE.

VI

À présent la route tourne, revient vers Kandy, longeant le sommet d’un plateau, toujours sous les verdures épaisses. D’un côté, une jungle dense, ténébreuse, pleine de singes ; à gauche, la vallée vaporeuse terminée tout là-bas par un peuple fantôme de crêtes et de sommets. Brusquement, sans qu’on ait vu de crépuscule, la nuit tombe, et les forêts et les horizons s’engloutissent dans l’ombre subite comme un songe lumineux qui fond tout entier…

Maintenant, toutes les étoiles de l’équateur s’allument. — Un grand silence où remuent quelques bruits tristes, bourdonnements d’insectes, hululements grêles et plaintifs, sortis des forêts invisibles. Ces minutes sont chargées d’une mélancolie indicible et voluptueuse : certaines suites de sons serrent ainsi le cœur, sans qu’on sache pourquoi, traversent l’âme de ce tressaillement étrange et profond. Tout d’un coup, on se sent si loin, si perdu dans le calme indifférent de cette nature immense. On se détache du groupe naturel ouquel on appartient, patrie, société, famille : l’illusion qui fait la vie se défait, et l’on se retrouve seul,