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LES LIAISONS

Lettre XXXVIII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Votre énorme paquet m’arrive à l’instant, mon cher vicomte. Si la date en est exacte, j’aurais dû le recevoir vingt-quatre heures plus tôt ; quoi qu’il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n’aurais plus celui d’y répondre. Je préfère de vous en accuser seulement la réception, & nous causerons d’autre chose. Ce n’est pas que j’aie rien à vous dire pour mon compte ; l’automne ne laisse à Paris presque point d’hommes qui aient figure humaine : aussi je suis, depuis un mois, d’une sagesse à périr ; & tout autre que mon chevalier serait fatigué des preuves de ma constance. Ne pouvant m’occuper, je me distrais avec la petite Volanges ; & c’est d’elle que je veux vous parler.

Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez, à ne pas vous charger de cet enfant ? elle est vraiment délicieuse ! cela n’a ni caractère ni principes ; jugez combien sa société sera douce & facile. Je ne crois pas qu’elle brille jamais par le sentiment ; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit & sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l’on peut parler ainsi, qui quelquefois m’étonne moi-même, & qui réussira d’autant mieux, que sa figure offre l’image de la candeur & de