Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tance qu’on ne m’opposait point ? ou devais-je me punir d’un moment d’erreur, & que souvent on avait provoqué, par une constance à coup sûr inutile, & dans laquelle on n’aurait vu qu’un ridicule ? Eh ! quel autre moyen qu’une prompte rupture, peut justifier un choix honteux.

Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-être même ce délire de la vanité, n’a point passé jusqu’à mon cœur. Né pour l’amour, l’intrigue pouvait le distraire, & ne suffisait pas pour l’occuper ; entouré d’objets séduisants, mais méprisables, aucun n’allait jusqu’à mon âme ; on m’offrait des plaisirs, je cherchais des vertus ; & moi-même enfin je me crus inconstant, parce que j’étais délicat & sensible.

C’est en vous voyant que je me suis éclairé : bientôt j’ai reconnu que le charme de l’amour tenait aux qualités de l’âme ; qu’elles seules pouvaient en causer l’excès & le justifier. Je sentis enfin qu’il m’était également impossible & de ne pas vous aimer, & d’en aimer une autre que vous.

Voilà, Madame, quel est le cœur auquel vous craignez de vous livrer, & sur le sort de qui vous avez à prononcer ; mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l’attachent à vous ; ils sont inaltérables comme les vertus qui les ont fait naître.

De… ce 3 septembre 17…