Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/250

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douter qu’il n’eût été sacrifié à Prévan ; & le dépit d’avoir été joué, se joignant à l’humeur que donne presque toujours la petite humiliation d’être quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d’en avoir raison, & pris le parti de la demander à leur fortuné rival.

Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels ; il les accepta loyalement : mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l’éclat de cette aventure, il fixa les rendez-vous au lendemain matin, & les assigna tous les trois au même lieu & à la même heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne.

Le soir venu, il courut sa triple carrière avec un succès égal ; au moins s’est-il vanté, depuis, que chacune de ses nouvelles maîtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous jugez bien, les preuves manquant à l’histoire, tout ce que peut faire l’historien impartial, c’est de faire remarquer au lecteur incrédule, que la vanité & l’imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges ; & de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l’avenir. Quoi qu’il en soit, les faits suivants ont plus de certitude.

Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu’il avait indiqué ; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, & peut-être chacun d’eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d’infortune. Il les aborda d’un air affable & cavalier, & leur tint ce discours qu’on m’a rendu fidèlement :