Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échapper l’occasion. Ces faits une fois avoués, tout s’arrangeait de soi-même. Aussi le déjeuner n’était-il pas fini, qu’on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d’honnêtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité ; le vin la fortifia ; si bien que peu de moments après, ce ne fut plus assez de n’avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve.

Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement là que l’autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances : « En effet, dit-il aux trois offensés, ce n’est pas de moi, mais de vos infidèles maîtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l’occasion. Déjà je ressens, comme vous-mêmes, une injure que bientôt je partagerais : car si chacun de vous n’a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois ? Votre querelle devient la mienne. Acceptez, pour ce soir un souper dans ma petite maison, & j’espère ne pas différer plus longtemps votre vengeance. » On voulut le faire expliquer : mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l’autorisait à prendre : « Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j’avais quelque esprit de conduite ; reposez-vous sur moi. » Tous consentirent ; & après avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparèrent jusqu’au soir, en attendant l’effet de ses promesses.

Celui-ci sans perdre de temps, retourne à Paris, & va, suivant l’usage, visiter ses nouvelles conquêtes.