Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/279

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réunir. Si l’amitié que vous m’avez offerte, n’est pas un vain mot ; si, comme vous me le disiez hier, c’est le sentiment le plus doux que votre âme connaisse ; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la récuserai point : mais juge de l’amour, qu’elle consente à l’écouter ; le refus de l’entendre deviendrait une injustice, & l’amitié n’est point injuste.

Un second entretien n’aura pas plus d’inconvénient que le premier : le hasard peut encore en fournir l’occasion ; vous pourriez vous-même en indiquer le moment. Je veux croire que j’ai tort ; n’aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, & doutez-vous de ma docilité ? Si ce tiers importun ne fût pas venu nous interrompre, peut-être serais-je déjà entièrement revenu à votre avis : qui sait jusqu’où peut aller votre pouvoir ?

Vous le dirai-je ? cette puissance invincible, à laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrésistible, qui vous rend souveraine de mes pensées comme de mes actions, il m’arrive quelquefois de les craindre. Hélas ! cet entretien que je vous demande, peut-être est-ce à moi à le redouter ! peut-être après, enchaîné par mes promesses, me verrai-je réduit à brûler d’un amour que je sens bien qui ne pourra s’éteindre, sans oser même implorer votre secours ! Ah ! madame, de grâce, n’abusez pas de votre empire ! Mais quoi ! si vous devez en être plus heureuse, si je dois vous en paraître plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idées consolantes ?