Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/286

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déclarai que je ne jouerais point : en effet, il trouva, de son côté, mille prétextes pour ne pas jouer ; & mon premier triomphe fut sur le lansquenet.

Je m’emparai de l’évêque de ... pour ma conversation ; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m’aborder. J’étais bien aise aussi d’avoir un témoin respectable qui pût, au besoin, déposer de ma conduite & de mes discours. Cet arrangement réussit.

Après les propos vagues & d’usage, Prévan s’étant bientôt rendu maître de la conversation, prit tour à tour différents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n’y croyant pas ; j’arrêtai par mon sérieux sa gaieté qui me parut trop légère pour un début ; il se rabattit sur la délicate amitié ; & ce fut sous ce drapeau banal, que nous commençâmes notre attaque réciproque.

Au moment du souper, l’évêque ne descendait pas ; Prévan me donna donc la main, & se trouva naturellement placé à table à côté de moi. Il faut être juste ; il soutint avec beaucoup d’adresse notre conversation particulière, en ne paraissant s’occuper que de la conversation générale, dont il eut l’air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d’une pièce nouvelle qu’on devait donner le lundi suivant aux Français. Je témoignai quelques regrets de n’avoir pas ma loge ; il m’offrit la sienne que je refusai d’abord, comme cela se pratique : à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l’entendais pas ; qu’à coup sûr il ne ferait pas le