Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/296

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dirai-je ? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d’avoir pu dire un mot pour l’arrêter ou me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode & plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui disait-il, l’éloignait de moi ; il voulait me combattre à armes égales : mais mon extrême timidité s’opposa à ce projet, & mes tendres caresses ne lui en laissèrent pas le temps. Il s’occupa d’autre chose.

Ses droits étaient doublés, & ses prétentions revinrent ; mais alors : « Écoutez-moi, lui dis-je ; vous aurez jusqu’ici un assez agréable récit à faire aux deux comtesses de P***, & à mille autres : mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l’aventure. » En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup, j’eus mon tour, & mon action fut plus vive que sa parole. Il n’avait encore que balbutié, quand j’entendis Victoire accourir, & appeler les gens qu’elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là, prenant mon ton de reine, & élevant la voix : « Sortez, Monsieur, continuai-je, & ne reparaissez jamais devant moi. » Là-dessus, la foule de mes gens entra.

Le pauvre Prévan perdit la tête, & croyant voir un guet-apens dans ce qui n’était au fond qu’une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit : car mon valet de chambre, brave & vigoureux, le saisit au corps & le terrassa. J’eus, je l’avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu’on arrêtât, & ordonnai qu’on laissât sa retraite libre, en s’assurant seulement qu’il sortît