fait, cela ne serait pas si difficile que vous pourriez le croire. Il suffirait seulement de perdre l’habitude de penser toujours à vous : & rien ici, je vous assure, ne vous rappellerait à moi.
Nos plus jolies femmes, celles qu’on dit les plus aimables, sont encore si loin de vous, qu’elles ne pourraient en donner qu’une faible idée. Je crois même qu’avec des yeux exercés, plus on a cru d’abord qu’elles vous ressemblaient, plus on y trouve après de différence ; elles ont beau faire, beau y mettre tout ce qu’elles savent, il leur manque toujours d’être vous, & c’est positivement là qu’est le charme. Malheureusement, quand les journées sont si longues, & qu’on est désoccupé, on rêve, on fait des châteaux en Espagne, on se crée sa chimère ; peu à peu l’imagination s’exalte : on veut embellir son ouvrage, on rassemble tout ce qui peut plaire, on arrive enfin à la perfection ; & dès qu’on en est là, le portrait ramène au modèle, & on est tout étonné de voir qu’on n’a fait que songer à vous.
Dans ce moment même, je suis encore la dupe d’une erreur à peu près semblable. Vous croyez peut-être que c’était pour m’occuper de vous, que je me suis mis à vous écrire ? point du tout : c’était pour m’en distraire. J’avais cent choses à vous dire, dont vous n’étiez pas l’objet, qui, comme vous savez, m’intéressent bien vivement ; & ce sont celles-là pourtant dont j’ai été distrait. Et depuis quand le charme de l’amitié distrait-il donc de celui de l’amour ? Ah ! si j’y regardais de bien près, peut-être aurais-je un petit reproche