Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/143

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infectées du poison dangereux qui a corrompu mon âme. Oh ! qu’est-ce donc que l’amour, s’il nous fait regretter jusqu’aux dangers auxquels il nous expose ; si, surtout, on peut craindre de le ressentir encore, même alors qu’on ne l’inspire plus ! Fuyons cette passion funeste, qui ne laisse de choix qu’entre la honte & le malheur, et qui souvent même les réunit tous deux, et qu’au moins la prudence remplace la vertu.

Que ce jeudi est encore loin ! que ne puis-je consommer à l’instant ce douloureux sacrifice, & en oublier à la fois & la cause & l’objet ! Cette visite m’importune ; je me repens d’avoir promis. Hé ! qu’a-t-il besoin de me revoir encore ? que sommes-nous à présent l’un à l’autre ? S’il m’a offensée, je le lui pardonne. Je le félicite même de vouloir réparer ses torts, je l’en loue. Je ferai plus, je l’imiterai ; et séduite par les mêmes erreurs, son exemple me ramènera. Mais quand son projet est de me fuir, pourquoi commencer par me chercher ? Le plus pressé pour chacun de nous n’est-il pas d’oublier l’autre ? Ah ! sans doute, & ce sera dorénavant mon unique soin.

Si vous le permettez, mon aimable amie, ce sera auprès de vous que j’irai m’occuper de ce travail difficile. Si j’ai besoin de secours, peut-être même de consolation, je n’en veux recevoir que de vous. Vous seule savez m’entendre et parler à mon cœur. Votre précieuse amitié remplira toute mon existence. Rien ne me paraîtra difficile pour seconder les soins que vous voudrez bien vous donner. Je vous devrai ma tranquillité, mon bonheur, ma vertu, & le fruit de vos