Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/15

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Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble & d’anxiété ? O vous, dont l’âme toujours sensible, même au milieu de ses erreurs, est restée amie de la vertu, vous aurez égard à ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma prière ! Un intérêt plus doux, & non moins tendre, succédera à ces agitations violentes ; alors, respirant par vos bienfaits, je chérirai mon existence, & je dirai dans la joie de mon cœur : ce calme que je ressens, je le dois à mon ami.

En vous soumettant à quelques privations légères, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments ? Ah ! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir à être malheureuse, vous pouvez m’en croire, je n’hésiterais pas un moment… Mais devenir coupable !… non, mon ami, non, plutôt mourir mille fois.

Déjà assaillie par la honte, à la veille des remords, je redoute & les autres & moi-même ; je rougis dans le cercle, & frémis dans la solitude ; je n’ai plus qu’une vie de douleurs ; je n’aurai de tranquillité que par votre consentement. Mes résolutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer ; j’ai formé celle-ci dès hier, & cependant j’ai passé cette nuit dans les larmes.

Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse & suppliante, vous demander le repos & l’innocence. Ah ! Dieu ! sans vous, eût-elle jamais été réduite à cette humiliante demande ? Je ne vous reproche rien ;