Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/179

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curieux de savoir ; & l’occasion ne s’en trouve pas si facilement qu’on le croit.

D’abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir, & n’est jamais que cela ; & auprès de celles-là, de quelque titre qu’on nous décore, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples commissionnaires, dont l’activité fait tout le mérite, & parmi lesquels celui qui fait le plus est toujours celui qui fait le mieux.

Dans une autre classe, peut-être la plus nombreuse aujourd’hui, la célébrité de l’amant, le plaisir de l’avoir enlevé à une rivale, la crainte de se le voir enlever à son tour, occupent les femmes presque tout entières : nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l’espèce de bonheur dont elles jouissent ; mais il tient plus aux circonstances qu’à la personne. Il leur vient par nous, & non de nous.

Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme délicate & sensible, qui fît son unique affaire de l’amour, & qui, dans l’amour même, ne vît que son amant ; dont l’émotion, contrariant la route ordinaire, partît toujours du cœur, pour arriver aux sens ; que j’ai vue, par exemple (& je ne parle pas du premier jour) sortir du plaisir tout éplorée, & le moment d’après retrouver la volupté dans un mot qui répondait à son âme ; enfin il fallait y réunir encore cette candeur naturelle, devenue insurmontable par l’habitude de s’y livrer, & qui ne lui permet de dissimuler aucun des sentiments de son cœur. Or, vous en conviendrez, de telles femmes sont rares ; &