Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/20

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vous ? Si je tentais de la voir ? cela est-il donc impossible ? L’absence est si cruelle, si funeste… & elle a refusé un moyen de me voir ! Vous ne me dites pas quel il était ; s’il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu’elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence ; &, pour mon malheur, je ne peux pas y croire.

Que vais-je faire à présent ? comment lui écrire ? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-être ; & s’ils sont injustes, me pardonnerais-je de l’avoir affligée ? Si je les lui cache, c’est la tromper, & je ne sais point dissimuler avec elle.

Oh ! si elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible ; elle a le cœur excellent, & j’ai mille preuves de son amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle est si jeune ! & sa mère la traite avec tant de sévérité ! Je vais lui écrire ; je me contiendrai ; je lui demanderai seulement de s’en remettre entièrement à vous. Quand même elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fâcher de ma prière ; & peut-être elle consentira.

Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, & pour elle & pour moi. Je vous assure qu’elle sent le prix de vos soins, qu’elle en est reconnaissante. Ce n’est pas méfiance, c’est timidité. Ayez de l’indulgence ; c’est le plus beau caractère de l’amitié. La vôtre m’est bien précieuse, & je ne sais comment reconnaître tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite.