Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/201

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devinerez pas, depuis quelques jours madame de Tourvel ne m’occupait plus ; & comme ces raisons-là ne pouvaient pas exister chez la petite Volanges, j’en étais devenu plus assidu auprès d’elle. Grâce à l’obligeant portier, je n’avais aucun obstacle à vaincre ; & nous menions, votre pupille & moi, une vie commode & réglée. Mais l’habitude amène la négligence ; les premiers jours, nous n’avions jamais pris assez de précautions pour notre sûreté ; nous tremblions encore derrière les verrous. Hier, une incroyable distraction a causé l’accident dont j’ai à vous instruire ; & si, pour mon compte, j’en ai été quitte pour la peur, il en coûte plus cher à la petite fille.

Nous ne dormions pas, mais nous étions dans le repos & l’abandon qui suivent la volupté, quand nous avons entendu la porte de la chambre s’ouvrir tout à coup. Aussitôt je saute à mon épée, tant pour ma défense, que pour celle de notre commune pupille : je m’avance & ne vois personne : mais en effet la porte était ouverte. Comme nous avions de la lumière j’ai été à la recherche, & n’ai trouvé âme qui vive. Alors je me suis rappelé que nous avions oublié nos précautions ordinaires ; & sans doute la porte poussée seulement, ou mal fermée, s’était rouverte d’elle-même.

En allant rejoindre ma timide compagne pour la tranquilliser, je ne l’ai plus trouvée dans son lit ; elle était tombée, ou s’était sauvée dans sa ruelle : enfin elle y était étendue sans connaissance, & sans autre mouvement que d’assez fortes convulsions. Jugez de mon embarras ! Je parvins pourtant à la remettre dans