Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/229

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confidence ; & craignant que cette conversation, que je prévoyais devoir être longue & triste, ne nuisît peut-être à l’état de notre malheureuse amie, je m’y refusai d’abord, sous prétexte qu’elle avait besoin de repos : mais elle insista, & je me rendis à ses instances. Dès que nous fûmes seules, elle m’apprit tout ce que déjà vous avez su d’elle, & que par cette raison je ne vous répéterai point.

Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle a été sacrifiée, elle ajouta : « Je me croyais bien sûre d’en mourir, & j’en avais le courage ; mais de survivre à mon malheur & à ma honte, c’est ce qui m’est impossible. » Je tentai de combattre ce découragement, ou plutôt ce désespoir, avec les armes de la religion, jusqu’alors si puissantes sur elle ; mais je sentis bientôt que je n’avais pas assez de force pour ces fonctions augustes, & je m’en tins à lui proposer d’appeler le père Anselme, que je sais avoir toute sa confiance. Elle y consentit, & parut même le désirer beaucoup. On l’envoya chercher en effet, & il vint sur-le-champ. Il resta fort longtemps avec la malade, & dit en sortant, que si les médecins en jugeaient comme lui, il croyait qu’on pouvait différer la cérémonie des sacrements, qu’il reviendrait le lendemain.

Il était environ trois heures après-midi, & jusqu’à cinq notre amie fut assez tranquille : en sorte que nous avions tous repris de l’espoir. Par malheur, on apporta alors une lettre pour elle. Quand on voulut la lui remettre, elle répondit n’en vouloir recevoir aucune, & personne n’insista. Mais de ce moment,