Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/230

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elle parut plus agitée. Bientôt après, elle demanda d’où venait cette lettre ? elle n’était pas timbrée : qui l’avait apportée ? on l’ignorait : de quelle part on l’avait remise ? on ne l’avait pas dit aux tourières. Ensuite elle garda quelque temps le silence ; après quoi, elle recommença à parler : mais ses propos sans suite nous apprirent seulement que le délire était revenu.

Cependant il y eut encore un intervalle tranquille, jusqu’à ce qu’enfin elle demanda qu’on lui remît la lettre qu’on avait apportée pour elle. Dès qu’elle eut jeté les yeux dessus, elle s’écria : « De lui ! grand Dieu ! » & puis d’une voix forte, mais oppressée : « Reprenez-la, reprenez-la. » Elle fit sur-le-champ fermer les rideaux de son lit, & défendit que personne approchât : mais presque aussitôt nous fûmes bien obligés de revenir auprès d’elle. Le transport avait repris plus violent que jamais, & il s’y était joint des convulsions vraiment effrayantes. Ces accidents n’ont plus cessé de la soirée ; & le bulletin de ce matin m’apprend que la nuit n’a pas été moins orageuse. Enfin, son état est tel, que je m’étonne qu’elle n’y ait pas déjà succombé ; & je ne vous cache point qu’il ne me reste que bien peu d’espoir.

Je suppose que cette malheureuse lettre est de M. de Valmont : mais que peut-il encore oser lui dire ? Pardon, ma chère amie ; je m’interdis toute réflexion : mais il est bien cruel de voir périr si malheureusement une femme jusqu’alors si heureuse & si digne de l’être.

Paris, ce 2 décembre 17…